PERTE DE CONFIANCE DANS LES BANQUES CENTRALES, par François Leclerc

Billet invité.

Que peuvent les banques centrales ? La question parait bizarre tellement il en est attendu, mais le scepticisme grandit devant leur absence de résultats en dépit de la multiplication de leurs mesures non conventionnelles, ainsi que de leurs innovations, comme l’adoption de taux négatifs par certaines.

Si elles peuvent se prévaloir d’avoir évité le pire durant ces huit dernières années, elles ne sont parvenues ni à relancer l’économie, ni même à stabiliser la finance. Certains les accusent même d’en dérégler le fonctionnement par leurs interventions. Aujourd’hui, elles sont sur le banc des accusés pour, entre autre, laminer les marges bancaires avec leurs taux négatifs. Plus elles interviennent, assurent leurs critiques, plus les effets négatifs de leurs mesures se font désormais ressentir.

Les commentateurs s’interrogent à propos de l’épuisement des moyens dont elles disposent, ce qu’elles nient farouchement, car le reconnaître serait abandonner la partie, mais au profit de qui ? Afin de les réapprovisionner en munitions les propositions iconoclastes d’actions se multiplient. Parallèlement, le G20 et le FMI appellent désormais avec force à utiliser en complément des instruments monétaires, l’arme fiscale, reconnaissant que les banques centrales – qui ne cessent de le répéter – ne peuvent pas tout faire. Mais cela tombe dans le vide.

Pacte européen de stabilité et de croissance contraignant ou pas, le poids démesuré de l’endettement souverain fait partout obstacle à l’investissement public. L’érosion de la base fiscale des États n’arrange rien, qu’elle résulte de l’optimisation fiscale, sous ses différentes formes des deux côtés de l’Atlantique, ou des mesures d’inspiration libérale de baisse des impôts issues d’un bréviaire dont le coin des pages est très fatigué.

Les banques centrales doivent garder des munitions au cas où la situation actuelle, guère brillante, se dégradait nettement. Cette préoccupation de plus en plus souvent entendue exprime la conviction que de nouvelles crises aiguës du système financier sont inévitables, que la crise politique monte, et que les banques centrales n’en ont pas fini. Certes, il est encore possible d’allonger le calendrier de tel programme, ou de muscler tel autre programme. D’augmenter les achats de titres ou d’imposer aux banques une baisse supplémentaire des taux négatifs sur leurs dépôts, avec de nouvelles conséquences sur le marché obligataire. Mais si l’on veut conserver des réserves pour des actions futures, cela impose de tempérer de telles velléités.

En Europe, les banques sont en première ligne contre les taux négatifs, et elles ont obtenu aux États-Unis que la Fed n’envisage pas cette mesure. En Europe, l’accroissement des achats de titres sur le marché, où les banques centrales sont en concurrence avec les investisseurs, impose déjà de modifier les critères d’admissibilité des titres à de tels programmes, en les assouplissant. Au Japon, la BoJ achète déjà tous les nouveaux titres émis par le gouvernement… Cette dernière, comme la BCE, en vient à acheter désormais des obligations émises par les grandes entreprises, qui n’ont pourtant pas de mal à les placer sur le marché.

Désormais les plus en pointe, les banques centrales européennes et japonaise voient leurs bilans continuer d’enfler et la qualité des titres qu’elles détiennent diminuer. Si elles devaient poursuivre dans cette voie, elles finiraient par devenir à leur tour des banques zombies… Faudra-t-il en venir à de profondes reconsidérations pour l’éviter ? Supprimer les billets et les pièces, comme il en est question, pour n’utiliser que des monnaies numériques  (et permettre si nécessaire la « fonte » de la valeur des « espèces ») ? Créer des monnaies qui ne seront plus garanties par des banques centrales au bilan suspect et sur lesquelles la confiance ne reposera plus ?

On parle régulièrement de la crédibilité des banques centrales, se servant notamment de cet argument pour condamner toute atteinte à leur soi-disant indépendance. Si elles devaient finir par perdre leur capital de confiance, à force de ne pas accomplir leur mandat s’agissant de l’inflation, ou de ne pas parvenir à relancer l’économie par leurs instruments monétaires, à quoi faudrait-il se vouer ? À une blockchain mondiale dont tous les États seraient membres afin de réaliser les transactions internationales, une fois pourvue de smart contracts (1) adoptés par la Communauté des nations ?

Il était jusqu’à maintenant envisagé la nécessité d’un nouveau Bretton Woods, afin d’instituer un système monétaire reflétant la fin de la suprématie du dollar et la montée des monnaies des pays ayant émergé. Conscient de la nécessité d’empêcher les déséquilibres entre les balances extérieures, un rappel des propositions d’instauration du bancor de Keynes s’imposait également. Ce seul pas sera-t-il suffisant dans le contexte de crise de longue durée que nous connaissons  ?

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(1) Des protocoles informatiques inviolables qui génèrent automatiquement des mécanismes relationnels contractuels.